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Christian Luyindama : sur les pas de danse du Boss

Inconnu encore il y a quelques mois, Christian Luyindama s’est imposé avec force et ferveur au coeur de la défense du Standard. Voici les secrets du phénomène congolais.

« Christian, il aime la sape « , envoie d’entrée Paul-José Mpoku. Et à le voir débarquer pour la séance photo, on n’a pas trop de doutes là-dessus. Christian Luyindama se pointe en véritable ambassadeur de la sapologie. Souriant et imposant. Depuis plusieurs mois, on est nombreux à s’intéresser au phénomène. Aujourd’hui, et malgré les quelques absences ou prises de risques qui restent à éliminer, le défenseur congolais est incontournable aux yeux de son coach, de ses équipiers ou des supporters.

Petit, il exécutait déjà de lourdes tâches au champ.  » Gégé, son  » grand-frère

Face à Genk, en finale de la Coupe de Belgique, il a été de toutes les batailles et en est sorti quasiment à chaque fois vainqueur. Luyindama symbolise cet esprit guerrier retrouvé en Cité Ardente. Celui qui a permis au club de se sortir de situations trop souvent mal embarquées.

Cette éclosion, ils étaient pourtant peu nombreux en début de saison à la voir venir. Sauf peut-être plusieurs de ses équipiers qui poussaient pour le voir intégrer le onze de base. Les Rouches prenaient alors trop facilement l’eau ; le duo Laifis- Scholz était bien trop lent à l’allumage et trop gentil dans les duels. Le Standard version Sa Pinto avait comme ambition d’imposer un pressing haut mais se faisait trop rapidement prendre dans son dos.

L’entraîneur portugais se persuadait à croire en Alexander Scholz qu’il jugeait davantage concentré durant 90 minutes que le jeune Congolais. Mais les deux débâcles face à Zulte Waregem (0-4) et à Bruges (4-0) ont été fatales au défenseur danois. Après avoir pris une première gifle en préparation en ayant été privé du brassard de capitaine, Scholz est sorti du onze de base le 10 septembre 2017 pour la venue de Charleroi.

En cette après-midi, le Standard relève quelque peu la tête et surtout n’encaisse pas face au rival carolo (0-0). Luyindama donne quelques frayeurs à Sclessin mais s’en sort avec les honneurs. Hormis les fins des matches contre Mouscron et Genk (suite à ses exclusions) et un déplacement à Charleroi en fin de saison régulière, le Congolais disputera l’intégralité de toutes les rencontres en championnat.

Risky business

José Jeunechamps, adjoint aujourd’hui de Franky Vercauteren au Cercle Bruges, avait pourtant tenté le coup en début de saison :  » Il n’était même pas sur le banc lors des premiers matches. J’avais donc appelé Olivier Renard afin de voir si Christian pouvait être prêté au Cercle. Sa réponse fut très claire : il en était hors de question, il croyait beaucoup en lui.  »

La saison dernière, alors que le Standard se morfond en play-offs 2, Jeunechamps prend la succession d’ Aleksandar Jankovic et tente de redonner un coup de fouet à une équipe en totale dépression. Alors totalement inconnu, il jette dans la bataille Christian Luyindama face à Waasland-Beveren lors de la 4e journée des PO2.

 » Quand je l’ai titularisé au milieu défensif, on était dernier. Lui m’avait dit qu’il avait déjà joué à cette place-là mais j’avais été voir sur Wyscout et je n’avais trouvé aucune image de lui dans un rôle de récupérateur. Et je dois bien avouer que quand je l’ai testé à l’entraînement dans un onze contre onze sur un demi-terrain, il ne m’avait pas rassuré.

Mais on avait besoin de changer les choses à cette époque et il avait réussi par sa force physique à apporter de l’équilibre à l’ensemble. Il n’est pas du genre à aller à la muscu, il est taillé comme ça. S’il continue à bosser, à être plus rigoureux, il est promis à un très bel avenir. D’autant que c’est quelqu’un de très agréable dans un groupe.

Mais je crois tout de même qu’il aurait besoin d’un travail individualisé, comme celui qu’a reçu Eliaquim (Mangala, ndlr) à l’époque où, pour travailler son jeu aux pieds, il tapait la balle contre le mur tous les jours et bouffait de la vidéo. Cette sensibilité au ballon est indispensable.

Si Christian veut passer un cap, le premier contrôle doit être parfait. Son taux de réussite au niveau du passing doit être bien meilleur également. Et même au niveau du domaine aérien, il lui reste des progrès à faire. Contre Charleroi, je trouvais que les défenseurs manquaient d’humilité dans leur jeu, ce qui a relancé les visiteurs. J’observais Ricardo Sa Pinto, je le voyais hurler afin que Christian et les autres jouent plus simple.  »

Plutôt monstre que garagiste

Le technicien portugais a beau s’époumoner depuis le début de saison à lui répéter à l’entraînement ou en match de simplifier son jeu et éliminer un maximum de prises de risques, le message passe difficilement.  » Rien ne l’effraie, il dribblerait Cristiano Ronaldo s’il l’avait devant lui. C’est une qualité mais ça peut aussi être un défaut « , poursuit Jeunechamps. Malgré cette nonchalance par moments, Sa Pinto le répète à qui veut l’entendre :  » Il est, à mes yeux, le meilleur défenseur central de Belgique.  »

Pour comprendre le phénomène Luyindama, il faut comprendre d’où il est parti. Et les étapes qu’il a franchies pour devenir joueur professionnel.  » Christian, c’est mon petit homme comme on dit ici « , annonce au bout du téléphone, Gégé, qui hormis peut-être ses parents, le connaît mieux que quiconque.

 » Christian et sa famille ont connu beaucoup des difficultés et il était difficile pour eux de continuer de vivre à Kinshasa. Son père a décidé de rentrer au  » village « . Il est issu d’un quartier très pauvre. Ses parents n’avaient pas les moyens de le scolariser ou de lui trouver à manger tous les jours. Petit, il exécutait de lourdes tâches au champ. De retour à Kin, vers 2008, il s’est retrouvé dans une équipe de quartier appelée Aguilla. C’est le pasteur Nathan Mabiala qui l’a repéré et emmené à Cotracom puis à Bel’or (où est passé également Dieumerci Mbokani). En 2012, son père lui a ordonné d’arrêter le foot, il voulait qu’il devienne garagiste. Christian a supplié son père de lui laisser terminer la saison. Et, peu de temps après, sa carrière s’est envolée.  »

Christian et Gégé.

Christian et Gégé. © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Luyindama décroche enfin un contrat au sein de l’élite congolaise, il passe par le DCMP, puis Sanga Balende, avant de signer en 2015 pour la prestigieuse formation du TP Mazembe. Une réussite qui n’étonne pas son  » grand-frère « , Gégé :  » Il a toujours eu une grosse envie de réussir. Petit, il était déjà très costaud, voire hors norme. Au quartier, on l’appelait le monstre.  »

 » C’est comme ça qu’on continue à m’appeler au bled parce que je fais peur aux attaquants « , poursuit Luyindama.  » C’est indispensable pour un défenseur car si tu commences à rigoler tout le temps, l’adversaire en profite.  »

Le conseil de Mbokani

Anthony Costard, agent français proche du TP Mazembe, a été l’intermédiaire entre le club de Lubumbashi et le Standard lors de l’arrivée des trois Congolais (Merveille Bope Bokadi, Christian Luyindama et Jonathan Bolingi) en Cité Ardente début 2017 (Luyindama arrivera début mars).

 » Je l’ai repéré lors d’une rencontre de Ligue des Champions africaine. Il n’était pas à Mazembe depuis très longtemps.  » Dans un premier temps, le TP Mazembe, dont le propriétaire Moïse Katumbi (homme politique congolais et riche homme d’affaires) est alors proche de la direction anderlechtoise, propose quatre joueurs à Anderlecht : Luyindama, Bokadi et Bolingi mais également Roger Assalé, qui explose aujourd’hui aux Young Boys Berne. Aucun des quatre n’est retenu par le club bruxellois.

 » J’ai alors contacté Daniel Van Buyten, qui s’est montré rapidement intéressé par ces trois éléments « , raconte Anthony Costard. Quand Luyindama arrive finalement à Liège début mars de l’année dernière, Dieumerci Mbokani invite son agent, Christophe Henrotay, à prendre en mains Luyindama qui a particulièrement tapé dans l’oeil de l’ex-attaquant rouche.

Joli conseil. Si le choc thermique est important et douloureux à son arrivée à Liège, Luyindama s’accroche et bosse en silence. Le soutien de ses deux compatriotes, Bolingi et Bokadi, va faciliter son acclimatation.  » Être seul, c’est parfois stressant. Quand je reviens à la maison après un match, il n’y a rien à manger. Alors, je prends du cake et un Coca et je vais au lit. Je ne sais vraiment pas me faire à manger. Le reste du temps, je reste à la maison, je ne vais pas commencer à sortir.  »

Aujourd’hui, O Monstro est devenu un cadre du vestiaire, même si on continue à l’appeler Bébé.  » Car c’est vraiment un gros bébé « , sourit Mpoku.  » Quelqu’un d’attachant, de très gentil, et qui peut aussi être un bon fou par moments. Mais il ne s’ouvre pas facilement. Il doit être en confiance pour que ce soit le cas. Aujourd’hui, il aime bien le club, la ville. Il passe souvent chez moi, il demande à ma mère ou ma belle-mère de préparer des plats africains. Tout ça a facilité son acclimatation.  »

Le départ du Boss ?

Désormais, Sclessin c’est chez lui. Lors de chaque victoire, le colosse congolais prend le microphone et fait danser la famille des Rouches sur les intonations de  » Ya ba boss « .  » Je ne me rappelle plus d’où vient l’idée de ce chant « , enchaîne Mpoku.  » C’est tiré d’une chanson de Koffi Olomidé (un célèbre chanteur congolais, ndlr). En gros, ça dit : Allez venez, on danse, on danse la danse des Boss.  »

Sclessin va-t-il être ambiancé par son boss l’an prochain ? Plusieurs clubs se sont renseignés sur son cas. Le Congolais, lui, aimerait décrocher la timbale dès cet été, peu importe la destination. Alexsandar Jankovic nous disait ceci à son propos en début de saison :  » J’ai eu le privilège de travailler avec un jeune défenseur qui n’était pas un surdoué sur le plan technique. Ça ne l’a pas empêché d’obtenir un bon transfert en Russie puis de devenir capitaine du grand Manchester United. Nemanja Vidic, ça te dit quelque chose ? Son engagement physique et son mental extraordinaire ont compensé beaucoup de choses qu’il ne possédait pas.  »

Mpoku, lui, n’a aucun doute.  » C’est un joueur complet, qui a une bonne technique malgré ce qu’on peut dire. Mais c’est vrai que, parfois, il aime se chauffer avec la balle.  »

Par Thomas Bricmont

Impavide et intraitable en défense.

Impavide et intraitable en défense. © BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS

Christian l’exubérant

Le temps semble parfois s’être arrêté à Liège. Comme si le football de possession modernisé par Pep Guardiola n’avait pas pu remonter la Meuse assez loin pour accoster sur les rives de la Principauté. Aux abords de Sclessin, on parle d’un football où le 4-4-2 est toujours une religion et où la discipline tactique est une donnée aléatoire. Forcément, dans ce monde-là, les défenseurs parlent plus souvent avec leurs muscles qu’avec leurs pieds.

Christian Luyindama s’inscrit dans une lignée prestigieuse. Les succès rouches d’hier ont été conquis avec les épaules de Daniel Van Buyten, d’Oguchi Onyewu ou d’Eliaquim Mangala. De ce dernier, Dominique D’Onofrio avait coutume de dire que ses pieds étaient posés dans d’énormes blocs de béton, comme pour poétiser sa maladresse à la relance. Sans jamais douter de sa réussite.

Car quand l’exubérance physique tourne inévitablement à la domination systématique du duel, la carrière d’un défenseur central peut s’ouvrir bien des horizons. Tant pis si son football en possession alterne entre jeu latéral, passes en retrait et longs coups de botte en diagonale.

Conscient de son atout majeur, le Boss tente donc de multiplier les duels. Là où les entraîneurs de jeunes ont tendance à matraquer à leurs talents en herbe de ne pas se jeter, Luyindama ne calcule pas. Il est comme un boxeur qui avance vers son adversaire dès le coup d’envoi d’un round, conscient qu’il sera capable d’encaisser les coups et, surtout, de les donner. Une fois que son corps tutoie celui de l’attaquant adverse, la victoire est presque inévitable.

La médaille a évidemment son revers. Prompt à sortir de sa ligne arrière, sans que cela semble préparé par le reste de ses coéquipiers, le Congolais dégarnit l’axe défensif liégeois. Souvent, le Standard est en difficulté quand l’attaquant adverse joue aux insaisissables, ouvrant vers les flancs avant de replonger dans l’axe déserté par Luyindama.

Les prises de risques sont comme celles d’un gardien qui sort très loin sur les phases arrêtées. Parfois, un but tombe de sa faute. Mais la majorité du temps, il soulage toute son équipe. Tant que la balance penche du côté des points gagnés, le problème reste anecdotique.

 

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